Cette année, nous célébrons le 30e anniversaire de l’Accueil Blanche-Goulet à Gaspé, organisme communautaire fondé en 1991 par sœur Gertrude Huet. Pour mieux comprendre l’apport exceptionnel de celle-ci à la communauté, nous proposons ici un aperçu du cheminement de cette femme extraordinaire et des défis auxquels elle a fait face pour mettre sur pied et développer cet organisme dont les services sont toujours aussi essentiels.

Pauline Curadeau
Directrice, Accueil Blanche-Goulet

 

Sr Gertrude, comme les gens l’appellent communément, a choisi l’Accueil Blanche-Goulet comme nom pour l’organisme qu’elle a créé et cela n’est pas fortuit. En fait, Blanche Goulet (sœur Sainte-Catherine-de-Sienne) fonde en 1924 le monastère des Ursulines de Gaspé. On dit d’elle qu’elle avait toujours à cœur de faire préparer à manger pour ceux qui avaient faim et qu’elle distribuait le tout discrètement. Pour Sr Gertrude, il ne peut y avoir meilleure personne pour symboliser l’œuvre que l’organisme voulait accomplir, soit celle d’aider les personnes dans le besoin.

Une population dans le besoin
Remontons quelque peu le temps. Dans les années 1960 et 1970, il y a encore bon nombre de personnes qui vivent dans l’indigence dans le « Grand Gaspé » et l’expropriation en vue de la création du parc national Forillon n’aide en rien. La population fait face à une instabilité économique et, dans ce contexte, plusieurs rejoignent les rangs des personnes démunies. À l’époque, la pratique veut que ce soient principalement les organismes religieux ou encore les clubs sociaux (Les Filles d’Isabelle, Chevaliers de Colomb, etc.) qui répondent aux différents besoins des personnes touchées par la pauvreté. Dans les années 1980, la situation ne s’améliore pas, les organismes et le clergé se retrouvent en quelque sorte dépassés par les demandes grandissantes d’aide et les problématiques se complexifient davantage (problème de santé mentale, de dépendance, etc.).

En 1986, ces organismes, chapeautés par le Centre d’action bénévole, se concertent afin de trouver une solution plus « adaptée » à ces problématiques sociales. La situation vécue, autant par les organismes que par les personnes démunies, préoccupe Sr Gertrude et celle-ci se sent appelée intérieurement par la cause. C’est dans ce contexte qu’elle songe à mettre sur pied un organisme, mais elle attendra quelque temps avant de parler de son projet.

Une détermination qui ne se dément pas
À sa retraite du milieu scolaire en 1990, Sr Gertrude se met en branle pour concrétiser son projet, soit celui de mettre sur pied un Centre de dépannage. Pour commencer, question d’en apprendre un peu plus sur le travail des organismes de bienfaisance, elle prend une année de « repos » à Montréal. Elle profite de son séjour pour faire la visite de différents organismes d’aide et elle donne un peu de son temps comme bénévole à la Maison du Père dans le centre-ville.

Quelques mois plus tard, bien qu’ayant très peu de moyens à sa disposition, elle fonde, en février 1991, l’Accueil Blanche-Goulet à Gaspé. L’enthousiasme d’offrir aux personnes démunies une ressource répondant à leurs besoins se confronte rapidement à la réalité. Dès les premiers instants, il y a de la résistance. Cela débute avec du mécontentement lorsqu’il est question que l’Accueil intègre des locaux dans les résidences du Cégep de la Gaspésie. Sr Gertrude ne se laisse pas intimider par les sorties fracassantes de certains lors de rencontres et elle réussit à faire accepter l’organisme aux résidences. Elle y travaille d’arrache-pied avec ses acolytes pendant neuf ans dans des conditions pas toujours faciles. En fait, les locaux se révèlent somme toute peu adaptés pour le type de services offerts, soit l’hébergement de personnes en situation d’itinérance et le dépannage alimentaire.

Pour pallier ce problème, la directrice et le conseil d’administration se mettent à travailler à l’obtention d’un nouveau local plus grand et plus adapté aux services dispensés par l’Accueil. La chance leur sourit et l’organisme procède en 2000 à l’achat d’un bâtiment situé en plein cœur du centre-ville. Cependant, l’annonce du déménagement se heurte à l’opposition cette fois-ci des commerçants et l’expression « pas dans ma cour » se révèle réalité. Un article paru dans Le Soleil du 10 avril 2000 démontre bien la résistance qu’a dû à nouveau affronter l’équipe. Nous pouvons y lire que la nouvelle du déménagement de l’Accueil Blanche-Goulet ne plait pas au directeur d’un établissement hôtelier, son voisin immédiat. Selon l’homme d’affaires, l’arrivée de l’Accueil au centre-ville nuira à l’image de la ville ainsi qu’aux services offerts dans son complexe. « Nous entrevoyons des problèmes. Ça peut nuire, et ça va nuire. », affirme-t-il, tout en précisant que d’autres propriétaires sont également mécontents.

Par ailleurs, avec le calme que nous lui connaissons, Sr Gertrude mentionne ne pas être étonnée de cette réaction : « C’est certain que, où qu’elle aille, la maison des pauvres n’est jamais la bienvenue… ». À sa défense, elle évoque non sans fierté, qu’elle n’a reçu aucune plainte en neuf ans du Cégep ou encore des commerçants aux alentours. Les craintes et les préjugés quant aux impacts anticipés ne se cristalliseront pas davantage et l’intégration dans ce nouvel environnement se fera somme toute bien pour l’Accueil et le voisinage.

Une quête d’équité qui porte fruit
Jusqu’en 2003, année où Sr Gertrude prend sa retraite comme directrice de l’Accueil, elle a toujours su défendre avec doigté la mission de l’organisme. Elle a tout mis en œuvre pour démontrer que les personnes vulnérables et marginalisées ont elles aussi leur place dans la société. Par ailleurs, bien que vivant désormais à Rimouski, la fondatrice demeure très près de l’organisme et malgré son âge avancé (fin 80 ans), elle est toujours aux côtés de l’équipe. Elle nous téléphone régulièrement et elle ne manque pas de participer à l’assemblée générale annuelle et d’être fière de l’évolution de l’Accueil. Il faut la voir aller avec d’anciens résidents ou encore d’anciens élèves pour comprendre tout le respect et l’admiration que les gens lui portent. Bref, par sa quête inlassable d’équité pour tous et par son engagement indéfectible envers autrui, Sr Gertrude a marqué indéniablement toute une communauté.

Trente ans après sa création, nous pouvons affirmer sans nul doute que l’Accueil Blanche-Goulet est devenu un organisme hautement reconnu autant par les professionnels, les commerçants que par les organismes communautaires et la population en général.

Photos (dans l’ordre)

Sœur Gertrude Huet.
Accueil Blanche-Goulet

Enseigne identifiant les organismes communautaires logés au Cégep de la Gaspésie-Les-Îles, 1999.
Accueil Blanche-Goulet

Le nouveau bâtiment, rue de la Reine à Gaspé, est acquis au printemps 2000 pour loger l’Accueil Blanche-Goulet, 2001.
Accueil Blanche-Goulet

L’équipe souligne le départ de Sr Gertrude que l’on voit au centre, 2003.
Accueil Blanche-Goulet

Sœur Gertrude Huet.
Musée de la Gaspésie