Tout au cours de ce récit, découvrez le portrait de la mère de l’autrice, une femme exceptionnelle.

Sœur Bernadette-Marie Roy
Moniale bénédictine

Un quart de sang irlandais, de souche héroïque
Énergie tenace héritée de ses ancêtres irlandais, et fraîcheur émerveillée d’un enfant : tels sont les traits saillants de la personnalité de Maria (1916-1988). Elle naquit à L’Anse-au-Griffon, avant-dernière des six enfants de Charles Jalbert et de son épouse Ovilia Bilodeau. Sa grand-mère maternelle, Marguerite Kavanagh, était la dernière enfant de Patrick Kavanagh et de Sarah Mac Donald, tous deux rescapés du dramatique naufrage du Carrick, survenu à Cap-des-Rosiers en 1847. Avec les Irlandais du Carrick et le violon des Kavanagh1, la musique avait fait son entrée dans ces familles qui donnèrent des musiciens d’église pour plus d’un siècle et demi.

Un temps pour s’amuser…
La maison blanche de Charles Jalbert, qui dominait la falaise, était bien connue de tous à L’Anse-au-Griffon. Cultivateur, il embauchait des garçons de ferme, mais, à son avis, aucun ne valait sa fille cadette, Maria, débordante d’énergie, qui courait partout et s’ambitionnait à faire engraisser son petit veau. Ce n’est pas qu’on ait été riche, mais les parents étaient prévoyants. Dès le printemps, Ovilia allait cueillir de tendres feuilles de betteraves pour agrémenter la soupe, et à l’automne, Charles achetait un plein baril de pommes, qui gardaient leur fraîcheur dans la cave pour tout l’hiver. Les enfants étaient joyeux; répondant à toutes les taquineries, Maria était la cible préférée de ses frères, qui allèrent jusqu’à la suspendre, pliée en deux, sur la corde à linge!

Les soirées d’hiver auraient été longues pour les enfants, qu’on envoyait tôt au lit, si Maria n’avait animé la partie en chantant des litanies « politiques » de son invention, auxquelles répondait la fratrie : « Honorable Alexandre Taschereau – Priez pour nous! » Cette tendance à veiller lui fut salutaire. Un soir, la petite espiègle, étendue sur le plancher du couloir des chambres, la tête appuyée sur le grillage par où montait la chaleur, écoutait la conversation des parents : « Que ferons-nous de Maria? » demandait Charles à Ovilia. « On ne va pas payer pour l’envoyer chez les Ursulines, comme Rita et Anna, elle ne fait rien à l’école. Elle ne pense qu’à s’amuser! » En vraie mère, Ovilia voyait les choses autrement : « Il faut faire pour elle autant que pour les autres, » répondit-elle. « Il faut lui donner sa chance, elle ira chez les Ursulines. » L’indiscrétion portera ses fruits. Maria se dit en elle-même : « J’irai chez les Ursulines et je travaillerai, on verra, j’arriverai ! »

…. et un temps pour étudier…
Et la voilà pensionnaire à Gaspé. Le régime était trouvé dur par certaines; pour ce petit bout de fille à l’indomptable énergie, il ne l’était pas. Elle résolut d’être contente de tout, de ne jamais critiquer, d’étudier autant qu’elle le pourrait. Fini, le temps des espiègleries! Au travail! Les conférences de Mgr Ross, les cours des Ursulines, l’histoire, la littérature la passionnaient. Toujours, elle aimera écrire.

À la maison ou chez les Ursulines, un souvenir éclipsait tous les autres en couleurs d’enchantement : celui de la nuit de Noël. À L’Anse-au-Griffon, Papa attelait son cheval à la carriole dont les grelots chantaient, et sur la neige qui crissait, on se rendait à l’église en regardant les étoiles. À Gaspé, les pensionnaires chantaient les messes de Noël. Mais quelle nuit ! Les plus jeunes étaient réveillées pour la messe de minuit par les violonistes qui entraient dans le dortoir en jouant des mélodies de Noël…

Un autre souvenir laissera une trace concrète dans la vie de Maria, celui des fêtes du 4e centenaire de l’arrivée de Jacques Cartier (1534-1934). Les élèves des Ursulines avaient été requises pour servir aux tables lors du grand banquet où avaient pris place les nombreux dignitaires. Parmi eux se trouvait une Parisienne, Mme Delpiaz, qui remarqua Maria, dont la conversation lui plut. Une correspondance assidue naquit entre elles;  Maria prenait plaisir à écrire de belles missives, agrémentées de poésie, que Mme Delpiaz publiait dans une revue française.

« Maîtresse d’école » appréciée
De retour à L’Anse-au-Griffon, nantie de son diplôme d’École Normale, Maria enseigna à l’école primaire. Enseignante inlassable, aimée des enfants, elle n’était pas toujours intrépide. Une souris fit un jour son entrée en classe; aussitôt Mademoiselle l’institutrice grimpa sur son bureau, debout, et promit quelques sous à celui qui s’en emparerait! L’incident ne lui fit perdre aucune once de son autorité. Ses élèves apprenaient et retenaient, à tel point que Monsieur l’Inspecteur, émerveillé, déclara : « Si le gouvernement n’était pas en des années de crise, Mlle Jalbert aurait une prime. » Mais… la profession ne rapportait que 100 $ par année. C’était bien peu; Maria retourna chez les Ursulines pour y suivre un cours de secrétaire, qui lui assurerait un meilleur salaire.

Une carrière : secrétaire particulière
Un emploi intéressant lui fut proposé à Gaspé, celui de secrétaire de Sasseville Roy. Depuis sa prime jeunesse, elle connaissait ce grand Monsieur qui venait visiter Charles Jalbert pendant les campagnes électorales, car tous deux étaient conservateurs. Elle le suivit à Ottawa, pendant les années où il fut député à la Chambre des Communes (1940-1945). Un jour, l’historien Robert Rumilly, venant visiter Sasseville, remarqua la parfaite tenue de bureau de sa secrétaire; 35 ans plus tard, il aura l’occasion de lui dire : « Comme vous aviez de beaux dossiers! »  Les années passées à Ottawa avaient conforté Maria dans la pratique de la langue anglaise, apprise auprès de sa mère et de sa grand-mère. Après la guerre, elle trouva un emploi à Québec, comme secrétaire d’un homme d’affaires anglophone. 

Un mariage écrit au ciel!
Or, en ces années-là, Sasseville Roy se trouvait veuf, avec des enfants établis. Ses amis lui conseillaient de se remarier, en vain, jusqu’au jour où le Dr Camille Pouliot lui suggéra un bon parti : « Vous avez Mademoiselle Jalbert ! – Elle ne voudra pas de moi, je suis trop vieux… » Sasseville tenta sa chance, et oui! Maria accepta. Depuis toujours, elle désirait avoir des enfants, mais le mari idéal était appelé à répondre à de nombreux critères : il devait être grand, distingué, et surtout être profondément chrétien… Sasseville présentait toutes les qualités requises. Le mariage eut lieu à la Basilique Notre-Dame de Québec, le 12 décembre 1951; Camille Pouliot était le témoin de son ami. Les jeunes mariés de 56 et 35 ans s’établirent à Gaspé. La suite entre dans le style des contes de fées : ils vécurent heureux, même s’ils n’eurent qu’un enfant. Maria s’attacha vivement aux fils de Sasseville et à leurs familles. Et lorsque son époux fut malade, elle fut pour lui toute tendresse et toute fidélité. L’amour jaillissait chaque jour de son cœur d’épouse et de mère. 

En 1971, elle déménagea à Montréal pour mes études. Maman portait un secret dans son cœur : celui de sa foi et de sa prière. Veuve et mère d’une enfant unique, elle accepta sans une plainte de me donner au Seigneur: « La première fois que je suis venue te voir au parloir, je me suis dit : “ C’est une peine, mais c’est une joie aussi, oui, c’est vrai… ” » Et au moment de ma Profession perpétuelle, elle signait: « Maman qui a tout donné. »

 

Note
1. Mary Collin-Kavanagh, Femme de gardien de phare, Éditions Kavaska, 2003.

Photos (dans l’ordre)

On voit Maria, une épouse et une mère heureuse, en 1954. Il s’agit d’une photo prise lors d’un après-midi de détente où elle faisait du sucre à la crème, sa confiserie préférée.
Collection Marie Roy

Maria et sa fille Marie novice, 2 février 1978, au parloir de l’Abbaye Sainte-Marie des Deux-Montagnes. « Vêture de Marie : tempête (de neige), mais j’y étais! ».
Collection Marie Roy

Maria Jalbert, 1950. Entre 1940 et 1950 la jeune Maria est en ville! Collet de dentelle rose, Maria était remarquée pour le chic de ses vêtements.
Collection Marie Roy