Première poétesse québécoise, Blanche Lamontagne se distingue par son parcours avant-gardiste. Rien ne la destine au départ à une brillante carrière littéraire. À la fin du 19e siècle, très rares sont les femmes, non mariées de surcroît, qui assument pleinement et publiquement leur statut d’écrivaine. Retour sur la naissance d’un talent encore rarement reconnu dans l’histoire littéraire féminine d’aujourd’hui.
Marie-Josée Lemaire-Caplette
Rédactrice en chef, Magazine Gaspésie
Issue d’une famille modeste, Blanche Lamontagne naît aux Escoumins sur la Côte-Nord le 13 janvier 1889. Sa famille dé- ménage à Cap-Chat en 1897 ; son père Émile prend alors la direction du magasin général qui est la propriété de son père Théodore-Jean Lamontagne. Bénéficiant d’un bon statut et retrouvant une certaine aisance, les Lamontagne se hissent au rang des familles bourgeoises rurales. Grâce à l’appui financier de la parenté, Blanche entre au couvent de Sainte-Anne-des-Monts à l’âge de 15 ans.
Talentueuse, elle fait ensuite son entrée à l’École d’enseignement supérieur pour jeunes filles, en 1908. Elle se retrouve parmi les premières femmes canadiennes-françaises à réaliser des études classiques. Elle obtient un certificat d’études littéraires de l’Université Laval de Montréal après une année d’études. Toutefois, elle ne poursuit pas le cours classique et opte pour les cours d’arts plastiques en se consacrant à la peinture.
Des débuts prometteurs
Blanche participe au premier concours de poésie organisé par la Société du parler français au Canada en 1911. Elle se démarque et arrive deuxième, recevant un prix spécial du jury qui souhaite souligner son talent prometteur. Lors de la remise, elle est accueillie chaleureusement par l’élite intellectuelle, réunie pour le premier Congrès de la langue française au Canada. En 1913, âgée de 24 ans et célibataire, elle publie son premier recueil intitulé Visions gaspésiennes. Elle signe le livre de son nom, rejoignant ainsi quelques rares femmes de lettres n’ayant pas recours à un pseudonyme. Il faudra attendre les années 1920 pour que cette pratique se répande.
Autre particularité, elle ne choisit pas la voie du journalisme; la majorité des femmes auteures rédigent alors des chroniques et des récits dans les pages féminines. Elle amorce plutôt une véritable carrière en littérature par la publication quasi exclusive de poèmes, un genre majeur. Blanche est également reconnue rapidement par ses confrères. Le genre littéraire qu’elle adopte et la reconnaissance dont elle bénéficie « la distinguent nettement des autres femmes de sa génération » selon La vie littéraire au Québec de 1895-1918.
Salué par le public et la critique, le recueil Visions gaspésiennes traite de « paysages canadiens » et se dé- marque justement par l’universalité du propos à l’échelle du pays. « La muse de Mlle Lamontagne est avant tout canadienne; que dis-je? elle est gaspésienne! Elle se plaît uniquement à dire les choses de chez nous; et, parmi les choses de chez nous, elle préfère les petites choses de chez elle. »1
La consécration
Blanche Lamontagne publie son deuxième recueil en mars 1917 aux éditions du Devoir. Par nos champs et nos rives… confirme son talent et sa contribution à la littérature nationale. Elle raconte si bien sa Gaspésie qu’elle raconte par le fait même la campagne canadienne et la vie des gens en milieu rural. La publication connaît un grand succès : les 2 000 exemplaires sont écoulés en quelques mois et un deuxième tirage est imprimé. a reconnaissance est telle que la poétesse peut se permettre de quitter son éditeur, Le Devoir, qui lui apporte énormément de visibilité. La fin de l’entente serait due aux positions publiques d’Henri Bourassa contre le vote des femmes aux élections fédérales, opinion que ne partage pas Blanche. À l’époque, de nombreuses femmes se servent de leur tribune pour faire avancer leur cause. Blanche Lamontagne fait plutôt l’inverse, c’est par son statut dans le milieu littéraire qu’elle réalise une action pour les femmes.
Blanche se marie à l’avocat Hector Beauregard en 1920 et s’éteint à Montréal le 25 mai 1958. Sept écrits et légendes, deux romans et plusieurs publications de poèmes dans des journaux et périodiques sont le résultat de trente ans de carrière, mais constituent surtout l’héritage littéraire de Blanche Lamontagne aux femmes des générations futures.
Note
1. Adjutor Rivard, « Préface », dans Blanche Lamontagne, Visions gaspésiennes, Montréal, Imprimerie du Devoir, 1913, p. 8.
La maison V
Poème tiré de Par nos champs et nos rives…
La maison que, jadis, je rêvais d’habiter,
Est une humble maison, au tournant de la route.
Les arbres toujours verts qui la recouvrent toute.
Lui font un abri sûr, l’hiver comme l’été.
Quoiqu’elle soit bâtie au pied d’une colline,
Elle fait face au fleuve, à ce fleuve enchanté
Dont la voix est terrible et le cœur tourmenté,
Et nous y respirons la bonne odeur saline.
Les senteurs de la mer s’y mêlent à l’odeur
Du trèfle qui fleurit dans les plaines voisines;
Et l’enchevêtrement des grands bois y voisine
Avec des rocs, garnis d’une riche verdeur.
Et, près de la maison, est un étang limpide
Dont la source, éclairée aux rayons du soleil,
Reflète doucement le buisson en éveil,
Et, des oiseaux passeurs, mire le vol rapide…
Oh! la chère maison, pleine d’ombrage frais!
Ami, je la souhaite à ta désespérance.
Pour mettre de la joie au fond de ta souffrance,
Et pour te reposer des jours durs et mauvais!…
Comme il eût été bon d’y vieillir et d’y vivre,
Tous deux, mon bien-aimé, dans le calme des soirs!
Comme il eût été bon d’aller souvent s’asseoir
Dans l’ombre de ces bois dont la senteur enivre!…