Partie intégrante du beau paysage maritime de Percé, le phare du cap Blanc a brillé sur le golfe Saint-Laurent pendant plus de 120 ans. Ce phare de jalonnement des côtes de deuxième ordre marque l’entrée de la rade de Percé.

Chantal Soucy
Résidente de Percé

« Un peu plus éloigné l’on remarque le Cap Blanc avec sa tour et son phare lumineux. Le tout forme un spectacle grandiose et imposant. »1

Le phare actuel du cap Blanc, érigé en 1915, succède à une sentinelle plus ancienne, allumée en 1874. Trois générations de Bourget ont occupé le poste de gardien. Le phare ne guide plus les navigateurs. Il s’est éteint en 1997.

Le premier phare
« Cinquante-deux pieds quarrés de terre pour l’emplacement d’un phare sur la pointe du Cap Blanc, les dits cinquante-deux pieds de terre étant sur le bord du Cap Blanc, à l’endroit désigné et marqué par le Capitaine Mannen au moyen de piquets… »2

Le ministère de la Marine et des Pêcheries achète ce terrain de Charles Bourget du township de Percé pour la somme de « soixante piastres, argent courant du Canada », le 15 septembre 1873. Dans le contrat de vente, le vendeur affirme ne savoir ni écrire ni signer et inscrit sa marque ordinaire d’une croix dans son nom et appose son sceau.

Le cultivateur Charles Bourget conclut un bon marché. Le ministère de la Marine et des Pêcheries l’engage comme gardien de phare, le 18 octobre 1873, au salaire de 100 $ par année. L’embauche du gardien suppose que la construction du phare va bon train. Joseph Octave Boucher de Percé en obtient le contrat au coût de 1 429,47 $. Le phare sera mis en service le 6 novembre 1874.

Les rapports du ministère de la Marine et des Pêcheries désignent ce phare sous plusieurs appellations : phare du Cap Blanc, phare du cap Tête-Blanche (Whitehead Cape Lighthouse), phare de la rade de Percé et phare de Percé (Percé Light). Une première description du tout nouveau phare est tirée du rapport de l’année 1874 : « La lumière est catoptrique, blanche, fixe, à une hauteur de 138 pieds au-dessus du niveau des eaux, et s’apercevra probablement à une distance d’au-delà de 13 milles. La tour, peinte en blanc, est carrée, en bois, et haute de 20 pieds. »3

Au fil des rapports, la description du phare se bonifie et amène de nouveaux détails. En1876, le toit est peint en rouge. On y donne plus de précisions sur la lanterne. Le feu blanc, immobile, catoptrique, comprend cinq lampes à mèche plate de très grandes dimensions avec réflecteurs de 20 po. Les verres mesurent 36 po x 30 po x 3/8 po.4 Les lampes et réflecteurs seront remplacés en 1895. Pour protéger la lanterne en cas d’incendie, le phare est muni d’un extincteur Babcock.

Le ministère équipe le phare d’une corne de brume à main en 1877 pour lui donner une voix quand le brouillard le fait disparaître. L’installation de ce système sonore laisse planer un nuage d’incertitude, car on avait suggéré une corne de brume automatique pour donner un meilleur service aux pêcheurs et aux marins. Mais, ce conseil n’a pas été retenu.5

Le deuxième phare ou phare actuel
Le phare de bois du cap Blanc est remplacé, en 1915, par une tour en béton armé, matériau phare pour la nouvelle génération de phares au Canada. Il innoverait comme le premier phare du golfe Saint-Laurent à troquer sa tour de bois contre une tour de béton.6

Le ministère octroie le contrat de construction à Joseph Antoine Boucher de Percé, le fils même du constructeur du premier phare. Les travaux s’étalent sur six mois, du 14 janvier au 14 juillet. Il en coûte 4 483,20 $ pour l’élévation de la tour, l’installation du feu et l’inspection.

La tour de forme octogonale en béton est peinte en blanc et supporte une lanterne de métal rouge. Le phare s’élève à 11,6 m (38 pi) et la lumière à 46,9 m (154 pi) au-dessus des hautes eaux. Sa lumière blanche clignotait toutes les 5 secondes avec une portée de 15 milles.7 Automatisé en 1965, le phare cessera ses fonctions en 1997.

Les constructeurs, une affaire de famille
Les deux phares du cap Blanc sont l’œuvre de la famille Boucher. Le premier phare a été érigé par Joseph Octave Boucher, le second par son fils Joseph Antoine Boucher. Quand celui-ci a construit le phare de béton, il a récupéré une partie de l’ancienne structure de bois et l’a déménagée sur son terrain pour s’en faire une remise. Ce cabanon phare existe toujours sur l’ancienne propriété des Boucher au Cap-Blanc.

Trois générations de gardiens
La station de phare du cap Blanc comprenait un seul bâtiment : le phare. Ni maison de gardien, ni abri de criard de brume, ni hangar n’ont été érigés sur le site. Les gardiens habitaient à proximité du phare.

L’histoire du phare est liée à la famille Bourget, gardienne du phare pendant trois générations jusqu’à l’automatisation en 1965. Charles Bourget, le premier gardien, occupe le poste pendant 18 ans. Ses tâches consistaient à veiller le feu, à actionner une corne de brume à main en temps de brouillard et à voir à l’entretien du bâtiment.

Après le décès de Charles Bourget en décembre 1892, deux de ses fils prennent la relève durant deux périodes distinctes. D’abord Florian, de 1893 à 1918 et Philias, de 1922 à 1931. Plus instruit que son père, Florian consignera son activité quotidienne dans son cahier de veille, livre dans lequel sont notés les noms des bateaux passant au large, les quantités de combustibles utilisés ou encore les températures. Il verra au bon fonctionnement des feux du premier, puis du second phare. Décédé en 1919, C. T. Bourget le remplacera pour un an.

Les gardiens de la troisième génération sont Joseph Horace, fils de Florian et Léon, fils de Philias. De retour de la Première Guerre mondiale, Joseph Horace remplit le poste de gardien pendant deux ans. Son oncle Philias lui suppléera, puis Daniel Hayden. Léon Bourget sera le dernier gardien du phare. Il y consacrera 29 ans de sa vie.

Aujourd’hui, du sommet du phare du cap Blanc, on peut contempler l’horizon infini. Mais se rendre au sommet à partir de l’intérieur tout chambranlant, demeure une aventure périlleuse. Laissé à l’abandon depuis 1997, le phare est livré aux humeurs du vent du large et se trouve en piteux état. La lanterne possède toujours sa lumière, orpheline de son éclat et oubliée par la population locale.

Merci à Jean Cloutier de m’avoir fourni un dossier documentaire sur le phare et à Jeannette Bourget, fille du gardien Léon Bourget.

Notes

  1. N. -E. Dionne, « Excursion de la presse dans la Gaspésie – VII », Le Courrier du Canada, 4 septembre 1885.
  2. Acte de vente passé entre Charles Bourget et Sa Majesté, enregistré le 31 décembre 1873, dans le Reg. B, vol. 1X, p. 235, sous le numéro 223.
  3. Rapport du Ministère de la Marine et des Pêcheries pour l’année fiscale expirée le 30 juin 1874, 1875.
  4. Rapport du Ministère de la Marine et des Pêcheries pour l’année fiscale expirée le 30 juin 1876, 1877.
  5. Rapport du Ministère de la Marine et des Pêcheries pour l’année fiscale expirée le 30 juin 1878, 1879.
  6. Répertoire du patrimoine culturel du Québec : http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca
  7. Light House Friends : http://www.lighthousefriends.com

Photos (dans l’ordre)

Le premier phare du cap Blanc, 1898.
Photo : Bibliothèque et Archives Canada, PA-178620

Le phare actuel du cap Blanc, 2014.
Photo : Patrick Matte

Le cabanon de la famille Boucher construit avec la structure du premier phare du cap Blanc.
Photo : Chantal Soucy