Ce n’est une surprise pour personne à Marsoui si notre village est cité comme un lieu de contrebande. Une « cache » comme on disait à l’époque! Plusieurs villages le long des côtes nord et sud servent d’entrepôts aux contrebandiers durant la prohibition américaine. Marsoui est l’un de ceux-là. 

Anne Sohier
Agente culturelle, Comité de développement de Marsoui

Marsoui, petit village prospère, principalement grâce à ses scieries (A. Couturier & Fils et celle de Moïse Gasse), compte jusqu’à deux hôtels dans les années 1930. L’hôtel Henley, situé sur le chemin aujourd’hui nommé rue des Pionniers, à l’écart de la rue principale, et l’hôtel Marsoui (communément nommé l’hôtel Lever), sis en plein cœur du village, sur ce qu’on appellera plus tard la 132.

De la réception de l’alcool…
On raconte que l’hôtel Henley, en activité depuis le début du 20e siècle, reçoit, pour une somme avoisinant les 100 $/jour, des cargaisons d’alcool qui arrivent par goélette de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le propriétaire entrepose la marchandise dans sa grange, en arrière de l’hôtel. On relate que le député de l’époque, ami de l’hôtelier, l’aurait même sauvé de l’embarras. Présent à l’hôtel lors de la venue de policiers venus fouiller la grange, il les aurait dissuadés de le faire. Après cette frousse, on dit que le propriétaire ne cachait plus rien dans la grange, mais a continué de camoufler l’alcool dans les nombreux champs en arrière de l’hôtel. La rumeur perdure encore aujourd’hui qu’il y aurait des gallons d’alcool enfouis dans les bois. 

Tout se déroule la nuit. Les phares étant rares, il est difficile de voir les « caches » à partir de la goélette. Des hommes attendent donc en haut de la falaise. Afin d’observer plus facilement la mer et l’arrivée de la goélette, un arbre devient, après avoir enlevé certaines branches et en avoir écourté certaines autres, un observatoire idéal. Dès qu’ils aperçoivent la goélette, les hommes descendent sur la plage faire un feu pour indiquer au bateau l’endroit choisi. Ils remontent ensuite la cargaison en empruntant un sentier caché. Encore aujourd’hui, on peut voir des traces de cette activité, entre autres l’arbre ayant servi de tour d’observation.

… à sa distribution et à sa vente
De son côté, l’hôtel Marsoui, avec chambres et pompe d’essence, a probablement hébergé quelques-uns de ces contrebandiers venus récupérer l’alcool. À preuve, cette photographie appartenant aux descendants de l’hôtel, où on mentionne, écrit à la main : contrebandiers. Est-ce l’un des plus connus de l’époque : Alfred Lévesque du Témiscouata, Conrad Labelle de la Montérégie ou Do Gagné de Cap-Chat? C’est possible…

Ce n’est un secret pour personne au village qu’à l’hôtel Marsoui, on pouvait acheter de l’alcool. Même si la Commission des liqueurs de Québec existe depuis 1921, il n’y a pas de succursale dans la région. Dans les années 1930 à 1950, l’hôtel ne possède pas de permis de vente d’alcool. On dit que la sœur du propriétaire, « tante Yvonne » comme on la désigne, a une trappe en dessous de son lit et un double fond dans son garde-robe où est entassé l’alcool. On vient même de Mont-Louis à Cap-Chat pour se procurer un bon petit boire. Sans tante Yvonne, plusieurs fêtes familiales auraient été plus courtes et certainement moins gaies! 

Aujourd’hui, ces deux hôtels n’existent plus. Il nous reste les souvenirs. Et peut-être des gallons d’alcool oubliés quelque part dans les bois…

Photos (dans l’ordre)

L’arbre qui a servi d’observatoire lors de la contrebande; ses branches coupées forment une échelle encore visible aujourd’hui, 2018.
Comité de développement de Marsoui

Contrebandiers devant l’hôtel Marsouins, années 1930. L’hôtel prend le nom définitif d’hôtel Marsoui dans les années 1950.
Collection famille Lever

Tante Yvonne.
Collection famille Lever