Cette année, Barachois, premier établissement sédentaire en Gaspésie, souligne son 350e anniversaire. Le nom de Barachois serait d’origine portugaise, mais des recherches récentes laissent entendre qu’elle pourrait être basque. Le débat n’est pas clos, mais en 1800, la carte de l’arpenteur-géomètre Samuel Holland montre la concession à Nicolas Cox du lot 27 et mentionne comme bornant du côté sud : « Barre à Echouer MalBay ». C’est sur ce lot qu’aujourd’hui le centre du village de Barachois est construit. C’est aussi sur le banc de sable de Malbaie que se succéderont plusieurs moulins à scie.
Christian Roy
Arpenteur-géomètre de Gaspé et Pointe-Saint-Pierre et membre du comité du 350e anniversaire de Barachois
Robertson et McCallum, sawmills and ship owners, 1893-1901
En 1893, l’arpenteur-géomètre Charles-Arthur Bourget de Pabos est envoyé par le gouvernement du Québec à Barachois afin d’y délimiter un emplacement pour établir un moulin à scie. Il crée alors le lot numéro 1 sur le banc de sable, constituant ainsi le premier lot à y être « spécifié ». Son carnet de notes est des plus instructifs : « Samedi matin 25 février, je me suis rendu sur le banc en compagnie de MM. John McCallum et Albert Robertson, et après avoir choisi l’endroit où ces MM. désirent construire leur moulin, j’ai procédé de suite à mesurer le terrain. […] Ces messieurs, comme vous le savez déjà, ont obtenu de votre Département, dans le canton de Malbaie, quelques milles carrés de limites à bois, riches surtout en cèdre, et se proposent de débarrasser l’été prochain, une des branches de la rivière Malbaie, afin de pouvoir opérer la descente de leurs billots dans le Barachois. Ces billots seront transformés en bardeaux, dormants de chemin de fer, etc. »1.
Un autre plan exécuté en 1896 par Bourget montre un dessin de moulin à vapeur sur ledit lot 1. En 1901, c’est la catastrophe : toutes les installations de la compagnie sont incendiées. Le moulin à scie, le magasin, la maison des travailleurs, la forge et une autre bâtisse partent en fumée. La perte s’élève à plus de 3 500 $ (environ 80 000 $ aujourd’hui). C’est la fin des opérations pour la compagnie sur le banc de sable. À la suite de ce sinistre, après quelques transactions, le lot 1 devient en 1906 la propriété de John Caldwell et Thomas Brown Calhoun.
Calhoun Lumber Company, 1904-1907
Originaires d’Albert (Nouveau-Brunswick), les frères Calhoun fondent la compagnie Calhoun Lumber en 1899 et implantent une scierie à L’Anse-aux-Cousins (Gaspé). En 1904, les Calhoun sont propriétaires des lots 1, 2 et 3 sur le banc de Barachois. Sur un plan daté du 2 mai 1904 par l’arpenteur-géomètre Bourget, on y voit le moulin à scie et plus ou moins six autres bâtiments ainsi qu’un quai d’assez grande envergure. Rien ne semble alors être construit sur le lot 24, propriété de la Sherbrooke Lumber Co. En 1907, le scénario se répète : un incendie majeur détruit les installations. Ceci est corroboré par un article du journal Le Peuple : « Les moulins Albert, situés à Barachois, comté de Gaspé ont été hier matin complètement détruits par le feu. On estime à 5 000 000 le nombre de pieds de bois consumés par l’incendie. »2 Quelques mois après, selon un acte inscrit le 10 décembre 1907, MM. Calhoun vendent tous leurs intérêts à la compagnie Sherbrooke Lumber, propriété de Francis Nelson McRae, un millionnaire de Sherbrooke, pour la somme de 25 000 $ (environ 590 000 $ aujourd’hui).
Sherbrooke Lumber Company, 1903-1917
Le moulin de la Sherbrooke Lumber est érigé en 1903 et entre en fonction l’année suivante. Plus de 60 hommes y scient 900 billes de bois par jour. En 1907, on compte 150 ouvriers et les salaires sont alors de 20 à 25 $ par mois, pension incluse. « Le bois était remorqué de l’usine sur des chalands et chargé sur des navires, puis exporté vers des pays étrangers. Le bois était également utilisé pour produire des planches à clin, des bardeaux et des lattes. »3 L’approvisionnement en bois est garanti par la coupe sur d’énormes concessions forestières octroyées par le gouvernement du Québec, soit plus de 840 km². À partir des parterres de coupe, le bois descend la rivière Malbaie et est concentré dans des estacades (« boom ») situées dans la lagune, soit en face des moulins situés sur la flèche de sable.
Les opérations de la Sherbrooke Lumber auraient cessé vers 1917 vu les coûts élevés d’exploitation. Le 2 janvier 1920, la Sherbrooke Lumber vend tous ses actifs sur le banc de sable à Edmund William Tobin de Bromptonville moyennant la somme de 50 000 $ (environ 1 200 000 $ aujourd’hui). Le même jour, Tobin revend le tout à Alfred Dubuc de Chicoutimi pour la somme de 70 000 $. Un « flip » payant pour M. Tobin! Il semblerait que Dubuc, également gestionnaire du moulin de Chandler, ait entièrement fait financer ce montant. Dans l’index aux immeubles, dans la colonne « montant de la dette et conditions », il est inscrit : « 70 000 unpaid ».
Charles H. Nadeau & Sons Limited, 1965-1970
Le 12 mai 1965, la compagnie Charles H. Nadeau & Sons Limited achète un terrain d’Evelyn Joseph de Montréal, pour une somme de 2 500 $ (21 000 $ aujourd’hui). Le 2 août de la même année, l’arpenteur-géomètre Jean-Damien Roy de Chandler fait un certificat de localisation de la propriété. Il y décrit les installations construites sur ledit terrain : « À l’intérieur dudit terrain se trouve également un bassin d’emmagasinement pour les billots. Le moulin à scie et le hangar sont constitués d’une charpente de bois recouverte de contreplaqué avec toiture en tôle. Le hangar repose sur des piliers de bois et le moulin sur un solage de béton. Le brûleur est constitué de plaques d’acier reposant sur des piliers de béton distancés de 6 pieds en 6 pieds. »4.
Au moulin des Nadeau, après avoir écorcé le bois et l’avoir scié, on charge le tout dans des wagons de chemin de fer et le bois est envoyé dans des usines de fabrication de panneaux de particules. Cet établissement emploie, directement et indirectement, une centaine d’hommes. En août 1970, rien ne va plus entre la compagnie Nadeau et les citoyens de Bridgeville et de Barachois. « Plus d’une centaine de citoyens en colère ont en effet bloqué les routes aux camions de la compagnie Nadeau, hier, protestant contre le fait que cette compagnie avait obtenu, il y a quelques années, des droits de coupe sur les boisés appartenant aux localités de Bridgeville et de Barachois, le droit de coupe ayant été accordé à la condition que cette compagnie opère un moulin de sciage à Barachois. Or ce moulin a été effectivement installé. Mais, cette année, la compagnie a décidé de le fermer, prétextant un coût de réparation trop élevé. En conséquence, tout le bois coupé à Barachois et à Bridgeville est acheminé vers le moulin de sciage de Port Daniel, dans le comté de Bonaventure à quelque 50 milles plus loin. »5 Le moulin Nadeau sera démantelé vers 1978-1979. Bien que plusieurs moulins à farine et à carder se soient succédé à cet endroit, c’est fort probablement au moulin à scie Nadeau à qui l’on doit la toponymie de la rue du Moulin.
Sur le territoire de Barachois, on dénombre également une succession de propriétaires de moulins à scie qui ont existé sur des périodes plus ou moins longues, à savoir : Elie Boucher, Wilfred Boucher, Clem Chicoine, Reggie Mabe, Claire McCallum, Tom McCallum et Duncan Robertson. Un des plus importants est sans doute Charles H. Nadeau.
Le village de Barachois, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, est un centre d’activité industrielle important où l’on retrouve principalement des scieries et de la construction navale. Cette période correspond à l’âge d’or du village, autant au plan démographique (297 familles pour 1 233 « âmes ») qu’au plan économique. Aujourd’hui, que reste-t-il de tout ça? Rien ou seulement quelques vestiges et des briques rouges qui témoignent de ce passé industriel prospère.
Notes
1. C. Arthur Bourget. « Rapport de l’arpenteur-géomètre, de Ste Adélaïde de Pabos, à l’honorable E. J. Flynn, Commissaire des Terres de la Couronne, 18 mars 1893 » dans Carnet M133, Canton de Malbaie (Barachois), 9 mai 1904; ANQ Québec, fonds ministère des Terres et Forêts, E21, S60, SS3, PM133.
2. Le Peuple, 27 septembre 1907, p. 5.
3. Traduction libre de : Carolyn DeVouge, Patricia Ste Croix, Annett et Vivian Ste Croix, History of Barachois, Bridgeville et Belle-Anse, 1984, p. 15-16.
4. Jean-Damien Roy, « Certificat de localisation », 2 août 1965 sous le numéro 314 de ses minutes; greffe de l’arpenteur-géomètre Denise Roy.
5. Lionel Bernier, « Barachois et Bridgeville dans une situation analogue à celle de Cabano », Le Soleil, 14 août 1970.
Photos (dans l’ordre)
Charles-Arthur Bourget, extrait du plan « Spécification des lots sur le banc de sable au Barachois de Malbaie – Comté de Gaspé », Plan 20, Canton de Malbaie (Barachois), 2 mai 1904; Greffe de l’Arpenteur général du Québec.
Travailleurs à l’œuvre dans la scierie de la Sherbrooke Lumber Company, entre 1903 et 1917.
Photo tirée de : Carolyn DeVouge, Patricia Ste Croix, Annett et Vivian Ste Croix, History of Barachois, Bridgeville et Belle-Anse, 1984, p. 15.
Élie, Joseph Albert et Oswald Francis devant le moulin Charles H. Nadeau & Sons Limited, vers 1966.
Collection Jocelyne Réhel