Le transport en Gaspésie n’a jamais été une mince affaire. Par bateau, par train, puis par automobile, il faut attendre les années 1950 pour s’y déplacer par avion. Ce transport dans la péninsule à un nom : Michel Pouliot. Voyons ici un bout du parcours de cet homme généreux, intronisé du panthéon de l’air et de l’espace du Québec en 2014.

Entretien avec Michel Pouliot
Pilote et fondateur d’Air Gaspé

Récit rédigé par Marie-Pierre Huard
Archiviste, Musée de la Gaspésie

 

Avant le décollage, précisons qu’il arrive que les sujets d’actualité et les archives se trouvent liés. Avec l’annonce d’Air Canada du retrait des liaisons de plusieurs villes régionales dont Gaspé, quoi de mieux que de parler de la compagnie d’aviation Air Gaspé et de son fondateur qui a fait don de ses archives au Musée de la Gaspésie.

Les débuts
Michel Pouliot est un passionné de l’aviation. Encore aujourd’hui, il en mange et il en rêve. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, il sait qu’il en fera un métier. Il entre à l’Académie de Québec le moment venu et s’assure durant sa scolarité d’obtenir tous les documents nécessaires pour obtenir son brevet de pilote. Pas question d’être docteur comme ses frères et son père. Toutefois, c’est ce dernier qui lui donne sa première chance de voler régulièrement. Étant député du comté de Gaspé-Sud et ayant des fonctions de ministre, Camille-Eugène Pouliot doit se déplacer sur un grand territoire difficilement praticable. Il décide de s’acheter un avion et le pilote jusqu’à ce que Duplessis l’apprenne et l’interdise. Dès lors, c’est Michel qui en devient le pilote et voyage son père au gré de ses besoins politiques.

À cette époque, les pistes d’atterrissage à l’est de Mont-Joli n’existent pas. Qu’à cela ne tienne! Michel Pouliot atterrit sur les plages, dans les champs ou au milieu des chevaux et des cochons. Il devient rapidement une attraction pour la population locale et il décide d’organiser des tours d’avion dans les villages. Cette activité devient très populaire!

En route vers Air Gaspé
En parallèle, vers 1951, Michel Pouliot fonde sa compagnie d’aviation nommée au début Transgaspésien et construit quatre aéroports dans la région. À cinq minutes à pied de la maison familiale à Cap-d’Espoir, il construit une petite piste d’atterrissage et un hangar pour son avion. Pour les besoins de la compagnie minière, il fait de même à Murdochville. Un service de traversier relie Sainte-Anne-des-Monts à Sept-Îles, il décide donc d’y bâtir un aéroport.

L’aéroport de Gaspé est construit avec l’aide de sa famille et de la Consolidated Paper Corporation Limited détenant les droits de coupe à l’île d’Anticosti. La compagnie doit transporter son bois et le bateau voyageant ses employés ne s’y rend qu’une fois par semaine et n’a pas la réputation d’être à l’heure. Matane et Rimouski sont jugées éloignées et coûteuses, Gaspé est ainsi choisie pour le transport aérien de cette entreprise forestière. L’aéroport devient le quartier général de la compagnie d’aviation.

Au fil des années 1950, elle change de nom et devient Air Gaspé. La ville est maintenant l’endroit idéal pour les chasseurs et les pêcheurs américains souhaitant atterrir près de leurs chalets le long des rivières. Les activités foisonnent à Gaspé et la population en profite. C’est le début d’une grande aventure.

Le HS-748
Au tournant des années 1970, les activités d’Air Gaspé vont très bien, trop bien même! La compagnie possède des avions de 4 places, de 10 places, des bimoteurs de 5 ou 6 places pour voler au-dessus de l’eau, des DC-3 de 28 places, etc. Les pilotes se rendent régulièrement aux Îles-de-la-Madeleine et vont sur la Côte-Nord les lundis, mercredis et vendredis. Ils vont aussi à Montréal et à Québec. La compagnie possède 23 avions en plus d’en louer deux l’été. Ça va tellement bien qu’Air Gaspé fait concurrence à Québecair et Air Canada! Elle en paiera d’ailleurs les conséquences, subissant de fortes pressions politiques pour vendre.

Il faut maintenant un plus gros avion. Michel Pouliot se fait toujours un devoir d’un acheter des neufs. La sécurité de ses passagers est primordiale. L’Angleterre vient d’en construire un nouveau de 48 places. La compagnie fait une tournée de promotion sur le continent et n’en vend aucun. Le seul transporteur intéressé est Air Gaspé, jugé non important. Homme tenace, M. Pouliot leur écrit et décide de se rendre sur place pour obtenir une démonstration! L’achat se fait au printemps 1971. Ce sera le premier HS-748 sur le continent! Au Canada, une quarantaine suivra.

Le visionnaire au service de la population
Il est très difficile de résumer le parcours de Michel Pouliot. Toutefois, il importe de parler de la vision qu’il se faisait à l’époque d’un transporteur aérien. Durant toute sa carrière, il souhaite être au service de la population et de la Gaspésie. Longtemps, il transporte des travailleurs dans le nord du Québec. Il donne une première chance à un jeune Robert Piché, futur commandant, et il transporte gratuitement Camille Huard, futur olympien, à certains championnats. De plus, le prix pour se rendre aux îles de la Madeleine est dérisoire.

Air Gaspé dessert des petites municipalités qui seront ensuite abandonnées par Québecair qui l’achète en 1974. Lorsqu’elle passe aux mains de ce transporteur, Michel Pouliot se désole de la situation dans la région. Il dit « Ce fut un moment de grande tristesse […]. Je me rendais malheureusement compte que les temps changeaient et que, graduellement, l’est du Québec perdait le contrôle de son transport aérien au profit de compagnies beaucoup moins personnalisées dont le siège social était situé en ville » 1.

Pour lui, il ne faut jamais oublier la population qui souhaite bénéficier de ce service. Il est affligé de voir certains transporteurs l’oublier. Selon lui, la situation du transport aérien en 2020 fait reculer la Gaspésie d’un demi-siècle. Nous venons de terminer notre voyage à bord d’Air Gaspé et une question demeure. À quand le retour d’une compagnie aérienne d’ici pour les gens de la région?

Note

  1. Jacques Bouchard, Bienvenue à bord, Caraquet, Éditions de la Francophonie, 2018, p. 140.

Photos

Aéroport de Cap-d’Espoir.
Collection Michel Pouliot

L’avion HS 748; on aperçoit probablement Michel Pouliot en avant, début des années 1970.
Collection Michel Pouliot

Michel Pouliot aux commandes de l’avion HS 748, début des années 1970.
Collection Michel Pouliot

Avion acheté par Camille-Eugène Pouliot, posé à L’Anse-au-Griffon, années 1950.
Collection Michel Pouliot