À partir du 20 juillet 2022, le village de Barachois sera l’hôte de festivités qui souligneront, pendant toute une année, le 350e anniversaire de l’établissement de Petite-Rivière. Cette date revêt une importance historique très particulière pour cette localité tout comme pour la Gaspésie.

Pascale Gagnon
Résidente de Belle-Anse
Pour le Comité de développement de Barachois et les environs

 

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En effet, c’est le 20 juillet de l’an 1672 que Pierre Denys de La Ronde, un marchand et propriétaire terrien installé à Québec, se voit octroyer en concession la rade de l’Isle Percée, où il installe le poste de Petite-Rivière, à l’endroit où se développera par la suite le village de Barachois1. Jusqu’à aujourd’hui, ce poste est considéré comme le premier établissement permanent français en Gaspésie, car seuls les Autochtones vivent à l’année dans la région avant la création de cette installation.

Selon les références cartographiques actuelles, cette concession s’étend de L’Anse-à-Beaufils jusqu’à Saint-Georges-de-Malbaie. Elle exclut alors l’île Bonaventure qui sera concédée deux ans plus tard (en 1674) à Simon Pierre de La Ronde, le fils de Pierre Denys.

La rade de l’Isle Percée baigne dans la baie de Malbaie (alors appelée baie des Molües, baie des Morües ou baie de Forcemorue), reconnue pour sa richesse halieutique exceptionnelle. Ce lieu est fréquenté depuis fort longtemps par les Mi’gmaqs. Il attire aussi des pêcheurs basques ainsi que d’autres provenant, notamment, de La Rochelle, de Bordeaux et de Honfleur.

La « petite rivière de barre »
La concession attribuée à Pierre Denys de La Ronde représente une partie soustraite à la seigneurie appartenant à son oncle Nicolas Denys, s’étendant de Cap-des-Rosiers jusqu’au détroit de Canso en Nouvelle-Écosse. En visitant la rade de l’Isle Percée, Nicolas Denys est impressionné par le potentiel des ressources naturelles de la baie tout comme par la présence du barachois : « Sortant de Bonne-Aventure & de l’Isle Percée, l’on entre en la baye des molües […] le costé qui joint l’isle Percée sont ces montagnes qui vont en baissant jusques au fonds; de cette baye où est l’embouchure d’une petite rivière de barre, les chalouppes n’y entrent que par beau temps, la mer assèche assez loin de l’entrée, il n’y a pas grande eau dedans à basse mer, sinon un petit canal pour des canots; c’est une grande étendue de platins & de prairies qui rendent la chasse abondante & la pesche de toutes sortes de coquillages; le saumon y monte en quantité, ce lieu-là est assez agréable, la terre bonne & toutes sortes d’arbres & fort gros, il s’y trouve de beaux sapins, si les pescheurs ont manque de mâture, ils la vont chercher en ce lieu. »2.

Même si Nicolas Denys décrit le lieu comme une petite rivière de barre et n’utilise pas précisément l’appellation « barachois », nous savons que ce terme est connu des Français. Il leur aurait été inspiré par le terme basque « barratxoa », désignant ce type de formation naturelle et voulant justement dire « petite barre »3.

Malgré l’intérêt économique de la rade de l’Isle Percée, Nicolas Denys n’a pas vraiment déployé les efforts souhaités par les autorités françaises pour y développer les pêches de façon structurée. À cette époque, on évalue qu’entre 400 et 600 pêcheurs fréquentent la rade de l’Isle Percée, mais seulement sur une base saisonnière. Pour sa part, Pierre Denys de La Ronde s’engage auprès de l’intendant Jean Talon à y implanter un établissement de pêche permanent et organisé.

Un endroit idéal pour vivre à l’année
Dès son acquisition, en 1672, de La Ronde y installe deux postes : un pour la pêche saisonnière à l’anse du sud de Percé, et un autre à Petite-Rivière pour y construire une habitation, y cultiver la terre et y subsister durant la saison froide. Quatre ans plus tard, en 1676, de La Ronde adjoint deux associés à son entreprise, Charles Aubert de La Chesnaye et Charles Bazire, pour fonder la Compagnie de l’Isle Percée.

D’après le plan de Le Moyne, dressé en 1687, l’établissement de Petite-Rivière serait situé aux environs de l’emplacement actuel de l’église Saint-Pierre-de-Malbaie et du chemin des Coteaux; le tout reste à valider par expertise archéologique. Le site de Petite-Rivière, bien protégé par la configuration géographique du barachois, représente donc un endroit idéal pour installer des quartiers d’hiver.

En 1675, Chrestien LeClercq, un père récollet tout juste arrivé en Nouvelle-France avec Mgr de Laval, est mandaté en Gaspésie pour accompagner les pêcheurs et évangéliser les Autochtones. Le 27 octobre de la même année, LeClercq arrive à Petite-Rivière après un périple qui n’est pas de tout repos et trouve sur place un bâtiment assez imposant pouvant accueillir 15 personnes, neuf arpents défrichés, trente arpents déboisés, un jardin aménagé et clôturé et quelques animaux de ferme. Après son passage à Petite-Rivière, LeClercq vivra 11 ans en Gaspésie et laissera des observations détaillées sur le quotidien des Mi’gmaqs ainsi que le premier dictionnaire français-mi’gmaq.

« Le Lion d’or, commandé par le Capitaine Coûturier, fut le premier vaisseau sur lequel je m’embarquay, afin de me rendre au plûtôt à l’Isle Percé. Nous y arrivâmes le vingt septiéme Octobre […] après beaucoup de peines & de fatiques, nous abordâmes, graces à Dieu, fort heureusement, à l’Habitation de Monsieur Denys, sur les quatre heures aprés midi, qui étoit tres bien logé, sur le bord d’un bassin vulgairement appellé la Petite Riviere, separé de la mer par une belle langue de terre, par l’agrément merveilleux qu’elle donne à ce lieu, le rend un sejour fort agréable. »

Chrestien LeClercq, Nouvelle relation de la Gaspésie

Une succession d’épreuves
Si l’entreprise de Pierre Denys de La Ronde connaît un début prometteur, certaines difficultés vont fragiliser son essor. Un de ses deux associés, Charles Bazire, décède tout juste un an après la création de la Compagnie, et l’autre, de La Chesnaye, ne peut investir assez de fonds à court terme pour la soutenir. De La Ronde, atteint de cécité, retourne vivre à Québec et délègue la responsabilité des postes de Percé et Petite-Rivière à son fils et à son frère qui sont jeunes et peu expérimentés. Les colons à son emploi se plaignent de ne pas avoir reçu les titres de propriété de leurs terres et dénoncent cette situation aux hautes instances, ce qui ébranle l’autorité des de La Ronde, qui doivent défendre leurs droits sur la concession.

Après 18 ans d’activités à Petite-Rivière, le coup de grâce est donné en septembre 1690 alors que l’établissement est incendié par des corsaires venus de Nouvelle-Angleterre, un mois après que le poste de Percé eut subi le même sort. Le père récollet Emmanuel Jumeau relate cet épisode à Chrestien LeClercq : « Mais helas! mon cher Pere, j’ay grand sujet de croire, & je crais bien qu’elles ne ressentent encore les effets funestes d’une seconde descente de ces ennemis jurez de nôtre Sainte Religion […] nous fûmes obligez de couper incessament nos cables, & de faire voile à la vûë de sept navires ennemis, qui nous donnerent la chasse d’une étrange maniere, mais dont nous échapâmes enfin heureusement, à la faveur de la nuit, pendant laquelle nous vîmes avec regret toutes les Habitations de la Petite Riviere en feu. »4.

Les familles présentes aux postes de Percé et de Petite-Rivière quittent les lieux et s’installent dans d’autres régions. Suivra une période d’une cinquantaine d’années pendant laquelle on ne connaît pas de trace d’occupation à Petite-Rivière, puis une reprise des activités semble se concrétiser. En 1746, trois familles y vivent : celles d’Aubin Lecouffle, de Thibeaudeau et de Guillaume Cochery.

Cette même année, Jean Chicoine, marié à Marie Boudot et installé à Pointe-Saint-Pierre (et dont la famille ira vivre quelques années plus tard à Petite-Rivière), lance l’alerte quand un navire de corsaires, sillonnant les eaux de la baie de Gaspé depuis deux jours, s’amarre à Petite-Rivière. Ces menaces navales se multiplient, et en 1758, Wolfe et ses hommes longent les côtes gaspésiennes et brûlent les possessions qui s’y trouvent. Quelques années plus tard, en 1777, un recensement dénombre tout de même neuf personnes habitant dans le secteur.

Le lot 27 : cœur de l’actuel village de Barachois
En 1787, Nicolas Cox, le premier lieutenant-gouverneur de la Gaspésie, fait construire par Félix O’Hara de Gaspé une résidence sur le lot numéro 27 du canton de Malbaie. Ce lot lui est concédé en entier et formera le cœur de l’actuel village de Barachois. La résidence de Cox abrite pendant 10 ans l’hôtel du Gouvernement, qui est le centre administratif régional, le quartier général de la milice et la cour de justice, jusqu’à ce que Cox quitte le canton de Malbaie pour la baie des Chaleurs.

Après ce départ, le lot 27 est occupé par des Loyalistes qui se font par la suite attribuer des parcelles. Ceux-ci ont joint les rangs des quelques Canadiens (terme désignant alors les descendants de colons français qui sont nés sur le territoire s’étendant des Grands Lacs à la Gaspésie) déjà établis sur place. Ils seront suivis au fil des ans par des Anglo-Normands, des Anglais, des Irlandais et des Écossais qui ancreront solidement les racines de plusieurs des familles encore présentes de nos jours à Barachois.

Au cours des siècles, le lieu-dit de Petite-Rivière sera désigné de diverses façons : barécoi, barre à échouer, barachois de Malbaie, barachois de Mal-Bay, Saint-Pierre-de-Malbaie et finalement Barachois. On y vivra principalement de la pêche, de l’agriculture, de l’industrie forestière et du tourisme. Aujourd’hui, si les trois premières activités mentionnées n’ont plus autant d’importance en tant que moteurs économiques dans la localité, cette dernière présente encore beaucoup d’attraits. Et les familles de Barachois forment toujours une communauté très attachée à ses racines et fière de la beauté exceptionnelle des paysages environnants, qui font toujours aussi forte impression qu’il y a de cela 350 ans!

Notes

  1. Pour le présent article, nous considérons le territoire du village de Barachois par les délimitations suivantes : le chemin Vauquelin à l’ouest, la barre de sable du barachois au sud, le chemin des Coteaux au nord et la rue du Moulin à l’est.
  2. Nicolas Denys, Description géographique et historique des costes de l’Amérique septentrionale, Avec l’histoire naturelle du Païs. Paris, Claude Barbin, 1672, p. 232-233.
  3. Genevière Joncas, « Barachois – Quand étymologie savante et étymologie populaire se confrontent… », Québec français, no 124, Hiver 2001-2002, p. 99-101.
  4. Chrestien LeClercq, Nouvelle relation de la Gaspésie qui contient Les Mœurs & la Religion des Sauvages Gafpefiens Porte-Croix, adorateurs du Soleil, & d’autres Peuples de l’Amerique Septentrionale, dite le Canada, Paris, Amable Auroy, 1691, p.14-15; citation en exergue p. 23-24.

 

Photos (dans l’ordre)

  1. Barges de pêche à la morue mouillant dans la baie de Malbaie, à Barachois, années 1940.
    Photo : Hedley V. Henderson
    Musée de la Gaspésie. Fonds Robert Fortin. P54/3b/1/2
  2. Le Moyne, Plan de la Rade de l’Isle-Percée et de la Baie des Morües avec ce qu’il y a de plus Remarquable fais en l’Année 1687, 1687.
    Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
  3. Frederick William Blaiklock, extrait du Plan of the township Mal Bay shewing the granted and unconceded lands in front range, 1858.
    ANQ Québec, E21,SSS5,SS1,SSS1,PM,4B
  4. Le barachois de Malbaie et sa flèche littorale, 2021.
    Photo : Gérald McKenzie